À chaud: La savonette dans les douches.

Le très productif Robert Yang vient de libérer sur l’internet une nouvelle création. Après son simulateur de fessée, d’orgasme assisté par automobile, de pénis dating, tout semblait possible. C’est donc sans surprise que rinse et repeat propose de lustrer à la savonnette un mec à poil dans les douches. Mais à la différence des autres titres de sa série, je crois en avoir saisi le véritable propos.

Dans les douches d’une salle de sport, le joueur est laissé avec pour seule interactivité la possibilité de zoomer sur les corps dénudés de sportifs alpha au physique clôné. Presque passivement donc, on attend que quelque chose daigne bien se passer. Croyez-moi, l’attente en vaut la peine. J’ai ri, et vous laisse le plaisir de découvrir cette spectaculaire introduction par vos propres moyens.

La phase de jeu à proprement parler peut dès lors commencer. Muni de sa souris ou de son trackpad, il faut frotter vigoureusement avec une savonnette le corps sculpté de son partenaire. Pour bien faire, le joueur doit prêter attention aux commentaires du monsieur qui saura réfréner vos élans frénétiques ou au contraire, les libérer. Une fois le temps imparti écoulé, le joueur reçoit un feedback de sa performance en pourcentage.

Je n’ai pour ma part pas été des plus performants, la faute à mon trackpad complètement foireux. Du coup, le mâle alpha s’en est allé en ne me faisant comprendre que je pouvais faire mieux, et que si je m’appliquais davantage lors de notre prochaine rencontre, le dénouement pourrait être différent. Malheureusement, un compteur s’affiche et il va me falloir attendre jusqu’à demain pour retenter ma chance.

Le jeu est disponible dans une multitude de langues, ce n'est pas anodin.

Le jeu est disponible dans une multitude de langues, ce n’est pas anodin.

En résumé, la recette de Robert Yang reste inchangée: un ton bien décalé porté par des pointes d’exagérations grotesques, mais bien senties. Les gémissements que vos frottis provoquent, la musique, ou l’effet de la boule disco sur le carrelage mouillé permettent au joueur une expérience juste à la limite du drôle et du gênant. Mais comme pour ses autres titres, Robert Yang joue avec ses codes pour faire passer une satyre du monde homosexuel. Décortiquons.

Tout d’abord, tous les hommes présents dans les douches ont le même physique. Le mâle alpha blanc, musculeux, tout ce qu’il y a de plus basique, l’idéal rabâché de beauté fantasmé propre au milieu gay. Le personnage que nous incarnons, lui, ne rentre absolument pas dans cette catégorie. Notre main est noire, agitée par un bras rachitique. Mais plus parlant encore, c’est la manière dont le jeu met en scène le personnage que nous contrôlons. Isolé dans un coin des douches, le début du jeu consiste à voir débarquer trois autres mâles alpha discutant entre eux. Même ces personnages qui n’ont pas d’importance dans le jeu sont dotés d’une existence plus palpable que la nôtre. Ce message est d’autant plus fort que ce n’est qu’au travers du regard et des commentaires de notre partenaire que notre invisible avatar peut prétendre à une quelconque existence. C’est là où, décrypté, le message est encore plus cinglant.

La seule chose que vous verrez de votre personnage, mais qui en dit déjà beaucoup.

La seule chose que vous verrez de votre personnage, mais qui en dit déjà beaucoup.

Il ne fait aucun doute sur le caractère subversif de l’interaction principale du jeu, signifié par les gémissements et le contexte dans lequel ils ont lieu. C’est de sexe que Robert Yang nous parle. Plus précisément, un rapport unilatéral où notre avatar appartenant à une communauté minoritaire, au sein d’une communauté qui l’est déjà, doit se plier en quatre pour procurer du plaisir à un idéal fantasmé. Pire. Le seul retour qui est adressé au joueur est formulé en terme de pourcentage de satisfaction de sa performance. Ainsi, exclu par les codes oppressants d’une communauté, notre personnage ne peut aspirer qu’à combler les besoins libidineux d’un stéréotype posé sur un piédestal pour espérer être un tant soit peu considéré. Quand on sait que Robert Yang est un game designer gay d’origine asiatique vivant à New York, on peut aisément se douter qu’il sait parfaitement de quoi il parle.

J’aime beaucoup le travail de Robert Yang. Par rapport à d’autres jeux du même genre, ce dernier mise sur l’humour et le décalé pour faire passer ses messages plus subtilement. Derrière l’apparente stupidité de ces jeux se dissimule un autre niveau de lecture renfermant un message fort, lisible uniquement au travers de l’analyse de son game design. Un exemple donc, qui devrait être tout simplement suivi.

Le jeu est gratuit et disponible en play for free or pay what you want sur itch.io, disponible pour Mac, Pc et Linux