Auro

Je n’ai jamais été un grand amateur d’emballage. Comme je l’ai répété à maintes reprises, le contenu est nettement plus important que le contenant. Un contenant un peu moche et mal foutu avec un contenu de qualité aura toute les chances de connaître un succès sur le long terme contrairement à ces belle choses pleines de vide qui brillent aussi fort qu’elles disparaissent vite. Auro présente un cas rarissime: celui du contenu dévorant son contenant. Et contre toute attente, cela laisse un arrière-goût bizarre.

Maintenant qu’on est entre gens de goût intéressés par Auro, je vais pouvoir tranquillement me contredire: Auro, c’est bien. Très bien même. Son Papa, Keith Burgun, a passé un temps fou à lui brosser des mécaniques chatoyantes et il n’a pas travaillé pour rien. Sous son impulsion, Auro adopte un postulat intéressant pour un jeu de stratégie au tour par tour: le héros ne peut attaquer les ennemis directement, son seul pouvoir est de les pousser d’une case. La caste de vilains pas beaux que l’on affronte ayant la particularité d’avoir sauté les cours de natation de l’école des méchants, Dinofarm Games a donc entouré son terrain de jeu d’étendues aquatiques. Un bon placement et une pichenette font alors des miracles et surtout des points. Ce système original serait un peu simplet sans l’adjonction de pouvoirs distribués aléatoirement permettant de multiplier les tactiques créatives d’éradication. Ces compétences sont réparties en trois groupes: air, feu et glace. Les sorts d’air agissent principalement sur les déplacements avec un saut ou un dash inversant sa position avec un ennemi. Les sorts de feu et de glace agissent sur l’espace. Ils créent de nouvelles zones dangereuses pour les ennemis et canalisent leurs déplacements. On y trouve par exemple une bombe créant une zone enflammée ou un jet de glace transformant le sol en patinoire.
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Ce qui rend le mélange explosif, c’est que la plupart de ces sorts présente des effets secondaires: le dash crée des vortex sur son tracé, le jet de glace gèle les ennemis pour un tour et la bombe peut enflammer une créature qui générera des flammes lors de ses déplacements. Ajoutez à cela des ennemis possédant eux des caractéristiques d’attaque et de déplacement variées et vous comprendrez alors qu’Auro ne pardonne pas grand chose: chaque prise de décision doit être mûrement réfléchie. Si le nouveau venu se contentera d’éliminer les monstres un à un avec des combinaisons des plus évidentes, le joueur averti prendra lui un plaisir fou à créer des combos faisant monter son score en flèche. A ce titre, le système de progression du jeu est lui aussi particulièrement original. Comme pour un jeu en ligne, Auro nous impose un premier run de classement duquel découlera notre placement dans un système de rangs. Ensuite, chaque partie aura un objectif en terme de points. Une victoire nous poussera vers les rangs supérieurs peuplés d’ennemis complexes et une défaite nous fera redescendre en des zones plus clémentes. Ce système ingénieux permet d’ajuster en permanence le défi au niveau du joueur pour maintenir son intérêt sur le long terme.

D’un point de vue du contenu, vous aurez donc compris qu’Auro est irréprochable. Ceux qui nous lisent depuis quelques temps savent à quel point je suis sensible à de belle mécaniques, seulement ce n’est pas à n’importe quel prix. Auro s’est tant concentré sur son gameplay qu’il en a oublié d’ajuster correctement son thème. Lors du tutoriel, Dinofarm Game nous propose l’histoire d’un prince luttant pour sauver son royaume envahi par des monstres pour habiller son jeu de stratégie. Malgré l’aspect peu original de ce postulat de base, l’aspect graphique fait preuve d’un second degré et d’un créativité certaine. Là où le bât blesse, c’est dans son adéquation avec le gameplay. Ses mécaniques de jeu sont tellement hypertrophiées qu’Auro nous hurle sans arrêt qu’il n’est qu’un cube en bois que l’on avance sur une surface découpée en hexagones. Cette angoisse thématique se ressent dès la première utilisation des sorts: la plupart seraient logiquement bien plus efficaces s’ils étaient appliqués directement sur la tête des adversaires au lieu des hexagones adjacents. Un constat qui s’applique également dans l’autre sens: est-ce que quelqu’un peut me dire pourquoi cette grosse brute aux bras aussi gros que la tête d’Auro se contente de le jeter deux cases en arrière au lieu de le faire exploser comme un fruit mûr? Et les choses ne s’améliorent pas avec le temps. A haut niveau, les ennemis sont si nombreux qu’il suffit de quelques maladresses dans les déplacements pour transformer le donjon en piste de danse à Ibiza au mois de juillet, envoyant toute sensation de parcourir autre chose qu’un échiquier à l’eau avec les ennemis.Auro2
Evidemment, ces décisions découlent d’une optimisation du système de jeu. Mais alors n’aurait-il pas fallu plutôt situer un tel gameplay dans un autre univers moins référencé que celui du donjon/monstre? A mon avis, Keith Burgun aurait dû assumer à plein sa direction centrée sur le gameplay en choisissant un habillage abstrait, à l’image du récent Kindo qui évoque avec succès la conquête de châteaux via de simples carrés.

Si je prends un plaisir indéniable avec Auro, je ne peux m’empêcher de lui préférer son cousin Hoplite. Malgré les dynamiques plus complexes et les réflexions de game design passionnante de Keith Burgun, Auro perd son joueur dans le dialogue qu’il engage avec lui. Comme quoi, le jeu vidéo est bien comme les bonbons: il a beau être délicieux, sans l’emballage adéquat il risque d’avoir un petit goût de terre.