Bilan des conférences E3 2015

Il y a des E3 joyeux, des E3 moroses, des E3 décevants, des E3 surprenants et rarement des E3 étranges. Cette années 2015 est apparemment sous un nouveau signe: l’E3 agaçant. Cette semaine du sommet vidéoludique mondial me démange comme un livre pas droit dans une bibliothèque. Tout semble avoir été rangé au mieux pour générer joie et félicité et pourtant de vilains détails tout moches génèrent chez moi une envie démesurée de tout casser.

Premier exemple: nos amis Japonais de chez Sony. Les papas de la Playstation ont sans conteste remporté le grand jeu du « c’est qui qu’a la plus grosse ». Le contenu de leur conférence était à la limite de l’irréprochable. Les jeux pleuvaient par grappes. Parmi les Street Fighter V, Uncharted 4, Hitman, No Man’s Sky ou encore Firewatch, Horizon Zero Dawn de Guerilla et Dreams de Media Molecule m’ont particulièrement fait bonne impression. Seulement, ce que l’on retiendra avant tout de cette performance 2015, c’est l’annonce quasi surnaturelle de trois des plus grosses arlésiennes du jeu vidéo. Tel Moïse faisant jaillir l’eau de la roche, Sony a déversé en une heure du gameplay de The Last Guardian, le kickstarter de Shenmue 3 et le remake de Final Fantasy VII. Difficile dans ces conditions de ne pas exploser dans une gigantesque gerbe d’enthousiasme frénétique. Pourtant, avec un peu de recul on ne peut s’empêcher de voir les grosses ficelles toutes moches de ce miracle.

Pour Shenmue 3, un petit calcul tout simple suffit. Sachant que le premier Shenmue a coûté 47 millions de dollars, que depuis sa sortie en 1999 les coûts de développement d’un jeu de cet ampleur ont au moins doublé et que le Kickstarter n’a pas encore dépassé les 4 millions de dollars que peut on espérer de ce nouvel opus? Un jeu en 2D ou une visual novel?
The Last Guardian nous revient lui dans un séquence de gameplay fidèle aux intentions de 2009. Seulement six ans plus tard, il est toujours impossible de comprendre comment s’articulera vraiment le gameplay. Une situation peu étonnante lorsque l’on sait que ces dernières années ont principalement été allouées à la résolution de défis techniques. Quand on devine la difficulté pour mettre en place un gameplay aussi original que ceux de la team Ico, il est certes très chouette de voir The Last Guardian tourner de fort belle manière sur PS4 mais peu rassurant de savoir que les considérations ludiques viennent à peine de reprendre leurs droits.
Quand au remake de Final Fantasy VII, il y a un peu plus d’un an Yoshinori Kitase disait à Engadget qu’un remake du niveau de la démo PS3 montrée en 2005 serait un projet encore plus important que la trilogie Final Fantasy XIII. Il faudrait donc compter sur une dizaine d’années de développement. Aujourd’hui, alors que l’entreprise se recentre plus que jamais sur le développement mobile et n’est toujours pas venue à bout de son Final Fantasy Versus XIII (renommé en Final Fantasy XV l’année dernière), il est difficile d’imaginer qu’elle puisse soutenir un projet aussi long et coûteux. C’est pourquoi je ne suis pas trop étonné des déclarations post-E3 de Nomura laissant penser que le jeu devrait être sensiblement différent que celui qui a fait découvrir le RPG à bon nombre d’occidentaux.
Vous conviendrez donc que quelque chose cloche dans la cour des miracles de Sony. Si cela ne leur ôte pas la qualité globale de leur conférence, je dois avouer un agacement certain à voir l’opinion générale prendre des vessies pour des lanternes.

Passons maintenant au bon deuxième de l’inconscient collectif: Microsoft. L’année dernière les avait laissés en pleine confusion stratégique. L’échec de la politique multimédia de la Xbox One les forçaient à prendre un virage à 90 degrés et réintégrer des notions barbares tel que « jeu vidéo », « exclusivités » ou encore « joueurs ». Le but cette année était donc de proposer à nouveau des jeux à même de redonner confiance en leur « console ». Pour ce faire, tout leur catalogue d’exclusivités a été appelé à la rescousse: Halo 5, Forza Motorsport 6, Gears of War 4 et même Rare avec un tout nouveau jeu. Un beau défilé de licences Microsoft qui était accompagné par une fanfare d’autres titres plutôt alléchants tel que Dark Souls 3, Ion, Rise of the Tomb Raider et Recore du studio derrière Metroid Prime. Le tout était complété d’annonces hardware attrayantes à défaut d’excitantes comme la rétrocompatibilité Xbox 360 et une nouvelle manette. Une conférence brillamment exécutée, sur le papier du moins. Car une fois visionnée avec un minimum de sens critique, la quasi totalité de ces annonces se révèlent plus effrayantes que rassurantes. Halo 5 tire fortement sur le triste avec une démo étriquée bien loin des grands espaces et des IA redoutables de ses origines. Gears of War 4 se prend pour un survival horror avec des combats tout mous et un héros aussi charismatique qu’un cure-dents. Rare passe 10 minutes à nous rappeler combien leurs jeux étaient biens quand ils bossaient avec Nintendo avant de nous balancer le trailer d’un MMO maritime vaseux. Dark Souls 3 n’est pas un jeu de Miyazaki. Ion est l’oeuvre du champion du monde de l’early access pas terminé. Et pour finir, Rise of the Tomb Raider nous crache un gameplay d’escalade tout moisi ébouriffant comme un tour de trottinette. Il nous reste donc Forza 6 auquel je ne comprends rien, les annonces hardware et Recore qui n’a rien montré mais profite d’une paternité plutôt sexy. Un bilan de sauvetage un peu triste pour une Xbox One au bord de la noyade.

Pour terminer, nous allons traiter de Nintendo et du PC dans un même élan. Ces joyeux lurons nous ont proposé chacun à leur manière une communication loin des sentiers battus par leurs petits camarades. Lors des conférences E3, la tradition veut que l’on prenne le spectateur pour un pré-ado tout juste assez intelligent pour ingurgiter du trailer cinématographique au kilomètre. Si Sony et Microsoft sont restés fidèles à ce glorieux postulat, Nintendo avec son Nintendo Direct et la toute nouvelle conférence PC de cette année se sont indubitablement sortis les pouces du derrière.
Nintendo, bien que ce soit leur troisième E3 au format Nintendo Direct, ont à nouveau fait mouche avec une présentation typée Muppet Show très fraîche. Comme l’année précédente Miyamoto, Iwata et Reggie étaient mis en scène dans de petits sketchs introduisant le prochain sujet. Truffées de clins d’oeil à l’univers Nintendo et surtout de moments absurdes génialissimes tel qu’un Iwata en grande réflexion avec une banane, ces séquences étaient un véritable plaisir à suivre. La façon de traiter les jeux était également aux antipodes des autres: deux des jeux présentés ont eu droit à un développement en profondeur de leur gameplay et intentions de game design. Une bouffée d’air frais dans un monde où l’on oublie souvent que l’on crée des jeux et non des films.
La conférence PC a elle choisi un format talk show qui aurait pu s’avérer casse-gueule pour un événement orienté promotion. Heureusement, la présentation était assurée par un Sean Plot « Day[9] » jonglant à la perfection entre obligations publicitaires et pertinence. Pour chaque émerveillement face aux nouveautés présentées on trouvait une question pertinente sur les systèmes de jeu ou une remarque piquante sur l’actualité de l’invité. Une présentation qui s’est avérée si agréable qu’elle donnerait presque des envies d’un véritable talk show axé jeu vidéo.
Le petit problème, et sur ce point personne ne s’est trompé, c’est que l’un comme l’autre n’avaient quasiment rien à montrer. Si on laissera à Nintendo un Zelda 3DS intriguant et un Starfox que l’on espère meilleur que ce que l’on pouvait en voir, le PC nous a proposé les abysses du rien. Il s’y succédait des développeurs déjà présents aux conférences consoles pour annoncer quasiment les mêmes choses. Le sommet de la soirée était une carte graphique du futur dont tout le monde se foutait éperdument à une époque où 90% des jeux PC se jouent très bien avec une configuration moyenne. Quelle tristesse de voir ces deux constructeurs réussir à ce point la forme pour se vautrer misérablement sur le fond.

Au final, je garderais de cet E3 2015 une étrange sensation de presque. Comme ces belles journées remplies d’enthousiasme où malheureusement le cours des choses s’est décalé de quelques centimètres pour nous faire rater à peu près tout ce que l’on entreprend. Donc merci à Sony, Nintendo, Microsoft et la coalition PC d’avoir tout fait pour nous étonner même si au final je dois bien avouer m’être surtout ennuyé.