Bloodborne

Tout a été dit sur Bloodborne. Tout ce qui a été dit est vrai. Le dernier né de Hidetaka Miyazaki est un des sommets du jeu vidéo d’aujourd’hui. Son style offensif marque enfin une réelle différence de ton avec la saga des Souls. Sa cohérence entre narration et gameplay force le respect. Et sa bienveillance ne se fait jamais au détriment de son exigeance.  Bref, ce jeu m’a conquis comme tout le monde. Pourtant, je vais ici me faire l’avocat du diable car comme ses prédécesseurs, Bloodborne m’agace malgré tout sur un point qu’il est temps pour moi de clarifier.

L’arrivée de la troisième dimension dans le jeu vidéo, c’est l’éclosion d’une immersion jusqu’alors inédite. Bloodborne en est une manifestation éloquente: la ville de Yarhnam n’aurait jamais affiché une telle prestance en deux dimensions. Seulement voilà, la troisième dimension c’est également l’arrivée des ennuis d’un point de vue gameplay. Nombre de genres ont dû lui sacrifier en précision pour gagner en immersion. Le jeu de plateforme, par exemple, y a perdu pas mal de plumes. Dans les platformer 3D, la lutte avec la caméra est aussi intense que celle avec les obstacles. Si bien qu’aujourd’hui la plateforme 2D triomphe à nouveau au travers de la 2.5D ou la 2D canonique.

bb_crows

Bloodborne malgré son lien de parenté évident avec le Beat Them Up, va puiser la base de son système de combat dans un espace 3D dans l’autre partie de son arbre généalogique: l’Action-RPG. Il reprend quasi à la lettre le système inauguré par Zelda Ocarina of Time en 1998. Une idée qui fait sens tant ce système est souple. En proposant un ciblage manuel, il permet d’engager un combat singulier avec une palette de mouvements enrichie, tout en laissant la possibilité, une fois le ciblage désengagé, de se débarrasser des familles nombreuses. Le soucis de cette approche provient du manque de précision des coups dans le deuxième cas de figure. Comme dans un jeu de plateforme 3D où il est difficile d’évaluer ses sauts dans la profondeur, les coups d’épée sont nettement plus hasardeux lorsque le joueur doit les orienter par lui-même dans l’espace. Zelda contourne ce problème avec des ennemis « popcorn ». Tous les ennemis attaquant Link à plus de deux ou trois peuvent être abattus d’un coup d’épée, minimisant ainsi l’importance des coups dans le vent. Un parti pris tout à fait tenable lorsque le combat n’est qu’une partie négligeable du gameplay, mais beaucoup plus gênant lorsque, comme dans Bloodborne, il constitue sa moelle épinière. Il est très difficile pour ce dernier de proposer des ennemis dépourvus de schéma d’attaque intéressant alors que c’est précisément cela qui fait son sel.

bloodborne_dogs

Bloodborne justifie et résout en majorité ce problème par sa structure. Comme un Megaman, Bloodborne s’épanouit dans la répétition. Le joueur traverse de nombreuses fois chaque séquences de jeu jusqu’à en acquérir la maitrise totale. Les combats contre plusieurs ennemis s’inscrivent alors dans un exercice de mémorisation de notre positionnement dans l’espace de jeu. Un moyen malin d’user d’une contrainte pour en faire une variation dans l’appréhension du gameplay. Une astuce qui marche avec 95% des ennemis du jeu mais qui pour les 5% restants génère un prodigieux agacement. Pour que le joueur puisse se placer correctement dans l’espace, il est absolument nécessaire qu’il puisse garder la majorité des belligérants dans l’angle de vision de la caméra. Un exercice qui ne présente aucune difficulté pour le joueur moyen, pour autant que les ennemis se déplacent à une vitesse inférieure à celle de la caméra. L’enfer commence lorsque l’on affronte une meute de chiens se déplaçant deux fois plus vite que notre champ de vision: impossible dans ces conditions de garder une vision claire du combat. Le joueur est alors forcé d’enchaîner des esquives au petit bonheur la chance en croisant les doigts pour qu’elles soient synchronisées avec les attaques des clébards actuellement dans son dos. Certains me rétorqueront que la série des Souls a toujours cherché à faire paniquer son joueur pour le pousser à la faute, que seul le sang froid permet de triompher. Un affirmation parfaitement justifiée tant que les moyens de pression sur le joueur sont autres que les limitations d’un système extérieur au jeu. Je peux parfaitement m’imputer un instant de panique dû à un boss impressionnant, un pattern complexe ou une ambiance effrayante mais je refuse de me reprocher le stress d’une caméra trop lente sur laquelle je n’ai aucun pouvoir.

Au vu du peu d’occurrences de ces situations, je pense que From Software est parfaitement conscient de cette faiblesse, mais je me devais de la relever. La série des Souls s’est faite connaître pour la haute estime qu’elle a de son joueur en ne lui pardonnant absolument rien dans le but de lui donner le meilleur. Je pense donc que la moindre des choses pour lui signifier mon infini respect était de lui retourner la pareille.