Horizon Zero Dawn

Il y a une dizaine d’années, le marché du jeu vidéo était encore envahi de temps à autre par un étrange phénomène : les « jeux moyens ». Ces productions, loin d’être mauvaises, ne pouvaient à cause de leur budget relativement famélique embaucher suffisamment de monde et assez longtemps pour remplir la check-list du parfait jeu AAA tel que nous le connaissons. Des graphismes à la ramasse, un multi cassé et du copié-collé dans les mécaniques ou les environnements étaient monnaie courante. Pour autant, certaines d’entre elles tiraient leur épingle du jeu en prenant des risques que des licences établies ne pourraient plus se permettre. Mais bien que j’aie pu en apprécier plus d’un pour sa valeur intrinsèque, les « jeux moyens » ont pour moi une tout autre utilité un brin mésestimée. A force d’enchaîner les jeux dit « AAA », on a tendance à en oublier ce qui leur octroie ce statut – en dehors de leur budget. Au bout du 6ème Assassin’s Creed dont on se goinfre comme les rab’ de frites à la cantine, il devient difficile de penser aux petites mains qui construisent des mondes impressionnants de méticulosité, si ce n’est d’intérêt ludique. En somme, ce label est souvent synonyme d’une certaine production value que seul le temps et l’argent peuvent réellement réaliser. Dans ce contexte, les pauvres « jeux moyens » servaient de bon faire-valoir mettant en exergue les qualités des titres plus ambitieux et expliquant pourquoi l’on continuait à les consommer à la pelle.

10 ans plus tard, les « jeux moyens » ont disparu de la surface, Assassin’s Creed pas tout à fait, mais le restes des productions AAA sont toujours au beau fixe. Il est donc devenu plus difficile de voir des différences qualitatives entre ces créations de plus en plus streamlinées où l’on aime tant réduire les risques inhérents aux projets d’envergure. Dans un environnement média où rien n’échappe à personne et où le moindre défaut se retrouve transformé en « mème » international une heure après la fin de l’embargo, le nerf de la guerre se situe dans les détails. C’est alors qu’Horizon Zero Dawn décide de rendre sa copie de bon petit élève, qui en assimilant intelligemment les succès de ses aînés et en profitant d’une campagne marketing digne de ce nom, ne pouvait guère se rater. C’est beau, c’est grand et ça se paye même le luxe d’avoir des combats jouissifs avec des dinorobots du futur antérieur qui nous font tellement mouiller que Michael Bay a réussi à nous vendre un énième film Transformers en les incluant 2 secondes dans une bande d’annonce. Je serais donc bien ingrat de cracher dans le soupe. Oui mais voilà, quand on se paye de talentueux directeurs artistiques, game designers, animateurs et graphistes mais que Régis de la compta oublie d’envoyer le chèque aux écrivains, vous risquez de tomber de haut.

Le scénario pour sa part s’en sort avec les honneurs. Plaisant, mais prévisible. Non, le bât blesse vraiment lors des dialogues. Avec son contexte post-apo où les restes de notre civilisation deviennent des reliques inestimables pour les survivants quelques millénaires plus tard, il y avait pourtant de quoi faire, comme nous l’a si bien appris le vénéré Fallout New Vegas. Même moi qui n’ai pas écrit de fiction depuis un devoir de 2ème année de primaire sur « raconter un voyage de rêve imaginaire » (Spoil : ça incorporait déjà des dinorobots), peux facilement torcher des quêtes secondaires plus intéressantes que l’entier de celles proposées dans Horizon Zero Dawn. On aurait pu infiltrer la base d’une secte recluse protégeant avec ferveur un vieux mange-disque retrouvé dans des ruines et vénérant tel un dieu la voix d’un Paul Anka tournant en boucle. Ou aurait également pu suivre un anthropologue loufoque dans ses pérégrinations, mal interprétant l’usage de tous les objets du quotidien qu’on lui aurait ramené, tout en pointant du doigt l’importance mais également les errances des historiens de notre époque. Un peu de folie bon sang. A la place, la dernière production de Guerilla se veut très 1er degré. Soit. Beaucoup déjà ont tenté ce pari sans s’y brûler les ailes. Mais pour cela il faut que les dialogues d’un jeu servent à la construction de son univers et à la caractérisation de ses personnages (The Witcher 3) ou qu’ils supportent son propos (Deus Ex : Mankind Divided). Ceux d’Horizon Zero Dawn se ratent sur toute la ligne. Les badauds qui nous interpellent de leurs grands points d’exclamation vert ont tous leur petit problème (un mari n’est pas revenu de la chasse, un soldat manque à l’appel, il manque un composant pour je ne sais quel équipement,…), autant de quêtes rongées jusqu’à la moelle par les open-world et autres MMORPGs des 10 dernières années dont la banalité est soulignée par des textes confondants de platitude. Ici, pas de personnage charismatique aux réponses suffisamment caustiques et cinglantes pour nous faire douter de nos propres certitudes morales ou simplement pour les rendre sympathiques. Où diable sont donc les Garrus, David Sarif et Mr. House ? Tout un chacun, les personnages secondaires semblent s’effacer pour laisser le premier rôle à notre héroïne, Aloy, qui sauve un tant soit peu les meubles en proposant une figure féminine forte, un fait encore bien trop rare dans le monde du AAA.

Voilà donc pourquoi, et bien que je le considère toujours comme un bon jeu, Horizon Zero Dawn a failli me tomber des mains à de nombreuse reprises au point où pour la première fois de ma vie j’ai fini par zapper la plupart des dialogues passée la moitié de l’aventure, m’arrêtant juste sur les moments vitaux du scénario. Une hérésie, oui.  Mais je ne lui en veux pas. Je suis même très content d’avoir pris le temps d’y jouer. Car comme ces « jeux moyens » d’une autre époque mettant en lumière la production value de leur voisins fortunés, il m’a fait réaliser à quel point l’écriture pouvait être importante dans mon appréciation d’un jeu et m’a donc aidé à sa façon à poser une nouvelle pierre de mon histoire avec le médium.