Hotline Miami: Wrong number

Calé au fond de ma chaise, je soutiens un regard épuisé sur la contemplation du récent carnage perpétré à la sueur de mes nerfs. J’ai lâché ma souris et mon clavier. Une main derrière la nuque et l’autre posée à côté de mon cendrier gavé de mégots à moitié consumés, je gonfle le nuage de fumée qui stagne dans ma piaule en tirant sur ma clope roulée dégueulasse. Des bouillies de pixels sanguinolents inondent l’écran. Cette vision m’apaise, j’ai l’esprit soulagé. Je sors tout bonnement d’un coît vidéo-ludique. Mais ça, c’était il y a trois ans, à la sortie du premier Hotline Miami. La bête m’avait prise sans prévenir, par derrière et jusqu’aux tripes. Son action frénétique et sa bande-son eighties dopée au LSD s’étaient insinuées jusque dans mon cerveau reptilien pour éveiller des pulsions de violence que mon niveau de bien-séance, pourtant rudimentaire, m’interdit cependant de détailler. Ouais, Hotline Miami premier du nom m’avait rendu fou. Autant dire que j’attendais sa suite avec une certaine impatience, nourrissant l’intime espoir que celui-ci parviendrait une nouvelle fois à faire dresser les poils de mon sanguinaire animal intérieur refoulé.

 

Hotline Miami in a nutshell.

Hotline Miami in a nutshell.

 

Il faut dire que c’était plutôt bien parti. Hotline Miami : Wrong number copie traits pour traits la recette du succès de son petit frère. Pour commencer, ils ont la même gueule. Graphisme eighties gonflés aux effets et aux couleurs flashys, gros pixels baveux qui s’assument et qui s’animent sans chercher à faire germer une once de poésie dans nos rétines. Pour ce qui est du fond, les mécaniques de base demeurent inchangées. On incarne toujours un psychopathe dans des environnements vus de dessus où il faut massacrer tout ce qui bouge en usant d’armes de poing ou à feu. Comme lors du précédent opus, l’erreur amène à la mort et à un retry compulsif. Le jeu se voit également doté de quelques nouveaux ennemis qui amènent un soupçon de fraîcheur dans certains niveaux, mais rien d’extravagant.

L’autre point fort de la licence réside indéniablement dans la qualité de sa bande-son. Sombre, frénétique, teintée de sonorités électro des années huitante, Hotline Miami : Wrong number peut se targuer de faire encore mieux que son prédécesseur. Les tracks s’enchaînent et transpercent de leurs vibes hypnotiques le tympan du joueur. D’ailleurs, j’ai continué à m’en délecter entre mes sessions de jeu, et à l’heure où j’écris ces quelques mots, je ne me suis pas arrêté.

Alors, arrivé jusqu’ici, on pourrait croire qu’Hotline Miami 2, c’est d’la tuerie. Mais non, quelque chose cloche.

Le premier épisode avait frappé fort en proposant une expérience inédite, à l’originalité déconcertante. Désarmé, j’y avais cédé tout entier. Mais désormais le terrain est connu et il m’est impossible de ne pas faire la fine bouche. L’intelligence artificielle est toujours autant brouillonne. Certains ennemis rappliquent depuis l’extrémité opposée du niveau sur un simple coup de feu, tandis qu’une patrouille ne bouge pas d’un cil alors que vous videz votre shotgun sur la porte qui se trouve juste sous leur nez. Que leurs comportements soient illogiques, ça on s’en branle. Mais ça en devient problématique lorsque ça pourrit les schémas d’anticipation qu’on essaie de fignoler au poil pour faire un max de points ou simplement parvenir à la fin du niveau. En effet, rien ne m’a plus frustré que de me retrouver la jugulaire mutilée par un clébard débarquant au milieu de nul part alors que je venais de dézinguer une vingtaine d’ennemis dans la furie d’un combat dévastateur et méticuleusement préparé, mariné dans le sang de la trentaine de mes tentatives infructueuses précédant un état de grâce vidéo-ludique.

 

La direction artistique qui s'inscrit génialissement jusque dans le menu pause.

La direction artistique qui s’inscrit génialissement jusque dans le menu pause.

 

Que le jeu soit punitif, et ne laisse aucune marge d’erreur au joueur, c’est un partie pris assumé, certes. Mais pour que le deal soit réglo et profitable, le gameplay ne peut s’entacher de mécaniques injustes qui amènent sporadiquement à pourrir les performances du joueur. Malheureusement, cela se produit fréquemment. Les zones de collision avec les ennemis qui ont lieu entre les portes demeurent incompréhensibles. Certains ennemis vous shootent depuis l’autre côté de la carte alors que vous ne pouvez pas les voir. Lors de certains niveaux, des ennemis sont invisibles à l’oeil nu car de la même couleur que le sol. Certaines fatalités vous clouent sur des ennemis au sol, vous rendant ainsi vulnérables pendant plusieurs secondes à n’importe quel quidam que vous auriez pu facilement liquider d’un clic. L’accumulation de ces approximations m’a pourri. Et pourtant croyez-moi, je n’avais qu’une envie, c’est retrouver le même kiff qu’il y a trois ans.

Mais c’est bel et bien ça le problème. À vouloir copier exactement ce qui a fait la magie du premier, sans corriger les petites anomalies qu’on pardonnait volontiers, les devs ont surestimé la tolérance du joueur acharné susceptible de se frotter à un jeu exigeant tel qu’Hotline Miami. Pire, ils ont bien tenu compte du fait que les mécaniques ont été assimilées et proposent ainsi d’entrée de jeu une difficulté bien supérieure aux premiers niveaux d’Hotline Miami 1. Du coup, on se retrouve avec un jeu encore plus difficile, mais qui traîne des bugs et des aberrations contre lesquels le joueur se retrouve impuissant.

 

Bla, bla, bla.

Bla, bla, bla.


 

Au lieu de corriger ces imperfections, Dennaton Games s’est donné beaucoup de mal pour enrober le jeu dans une trame narrative complexe, entremêlant différents protagonistes, chacun participant à sa manière et dans son temps à l’explication des faits surgissant lors du premier opus. Mais sérieusement, on s’en fout. Il y a trop de personnages et les tenants scénaristiques font à peine écho aux séances de carnage qui les côtoient. J’ai envie de jouer à Hotline Miami pour exploser violemment la gueule à des gens, et non pas pour en apprendre plus sur la psychologie bancale de comptoir des sociopathes que j’incarne. L’effort est louable, d’autant plus qu’il permet de souffler entre deux niveaux, mais sincèrement il y avait plus important.

Attention cependant, Hotline Miami : Wrong number n’est de loin pas un mauvais jeu. Il remplit très bien son contrat et propose une expérience haletante qui pousse le joueur dans ses derniers retranchements. Il serait par contre hypocrite de ne pas lui reprocher ses imperfections héritées malhabilement de son prédécesseur. Il n’y a aucune raison d’épargner à un jeu vidéo indépendant le genre de lacunes qui font monter au créneau dans la suite d’une production AAA. Après certes, on peut également blâmer un certain manque d’inventivité, comme si les devs s’étaient reposés sur leurs lauriers. Mais j’avoue, j’en espérais beaucoup. J’aspirais ardemment à redevenir complètement fou, à sentir ma mâchoire vouloir se planter dans mon clavier comme s’il s’agissait de la chair d’un autre être humain. Bien sûr, à certains moments la démence m’a gagnée, mais moins forte et épidermique que je ne l’avais désirée. Finalement, Hotline Miami, c’était mieux la première fois.