Maverick Bird

Le dernier Terry Cavanagh m’obsède. Pourtant ce n’est pas un projet d’une importance capitale, ni même commerciale. C’est un fan game. Un fan game d’un jeu que je n’aime pas: Flappy Bird.

Pour les lecteurs du monde extérieur qui n’auraient pas suivi, Flappy Bird est un jeu sur téléphone portable qui a défrayé la chronique ces derniers mois par un succès énorme et fort soudain. Seulement, certains joueurs bien pensants dont je fais partie, jugeaient son succès plus disproportionné que mérité. Le problème des Messieurs Je-Sais-Tout avec l’Internet moderne, c’est qu’on les entend trop et trop fort. Dong Nguyen, l’auteur du jeu, a donc été victime d’un lynchage public dans les règles. A tel point qu’il a fini par retirer son jeu des plateformes sur lesquelles il était distribué. Afin de témoigner leur soutien à Dong, de nombreux développeurs indépendants ont organisé une game jam en l’honneur de son jeu.

C’est là le premier élément fascinant de Maverick Bird: le cadre dans lequel il s’inscrit. De façon incroyablement satisfaisante pour ma petite personne, la thématique de cette game jam n’est ni une phrase, ni une image ou un son mais un game design. Cela montre clairement, si c’était encore à faire, que l’ont peut s’approprier le design d’un jeu. Maverick Bird transpire le Terry Cavanagh par tous les pores de ses bits. Rythme frénétique, amour des patterns retors, synesthésie et lisibilité, ses petites habitudes sont toutes là, mais injectées à une mécanique dont il n’est pas l’auteur.

Deuxième élément d’émerveillement, la réception du jeu par le public joueur. Les Messieurs Je-Sais-Tout susmentionnés. Tous débordent de « jouez-y », « c’est fantastique » ou encore « le dernier Terry Cavanagh m’obsède ». Un hommage peut-il dépasser son sujet? Comme un Dujardin qui remplacerait Chapelin dans le coeur des cinéphiles? Je ne pense pas. Mais contrairement à Dujardin et Chaplin, Cavanagh et Dong partagent un même ADN stylistique. Chacun de leurs jeux respectifs couplent un gameplay épuré à une difficulté très élevée. Centre nerveux à partir duquel leurs routes se séparent.

Dong s’adresse à Monsieur Tout-le-monde. Son héros est un oiseau sympathique. Le rythme du jeu est lent et la musique inexistante pour ne pas troubler le joueur appliqué à se glisser entre les tuyaux. Une seule mécanique est en vigueur: le vol. Flappy, malgré sa difficulté, est accueillant.

Cavanagh parle lui au joueur. Le velu, élevé au Dark Soul et au Ninja Gaiden. Celui qui à moins de 300 sollicitations secondes s’endort comme un surdoué en classe de math. L’avatar est un carré iconique, la musique électro pulse en rythme avec le décor dans un bal de couleurs psychédéliques et cerise sur le gâteau du « gamer », une mécanique supplémentaire de piqué est intégrée. Maverick est un missile à l’assaut des sens. Jouissif pour un joueur, agressif pour Monsieur Tout-le-monde.

Ce qui m’amène au dernier point fascinant de Maverick Bird: ce jeu m’a fait comprendre, en musique, à quel point je suis un gros con. Monsieur Je-Sais-Tout après des années de jeu et de critique est encore truffé de préjugés. Un jeu gratuit, des bandeaux publicitaires, un nom inconnu et un enrobage grand public suffisent encore à provoquer l’ire de mon soi-disant bon goût. Merci Monsieur Cavanagh pour cette leçon d’humilité.

Quant à toi Flappy Bird, je ne t’aime toujours pas mais au moins je te comprends mieux. Je me surprends même parfois à t’admirer en secret pour avoir engendré le nouvel objet de ma fascination momentanée.

Maverick Bird   Flappy Bird   Flappy et les vieux