Nier Automata

Je n’ai jamais pu écrire quoi que ce soit sur le premier Nier. Il avait littéralement explosé mon sens critique. J’étais tellement abasourdi par la surprise et la folie de sa proposition que je me contentais de courir en rond en criant au génie. Je voulais me baigner dans ce jeu pour la fin de mes jours et pour une fois je m’en foutais bien d’en comprendre la raison. Nier Automata c’est un peu l’occasion de redescendre sur terre et je préfère prévenir: ça va piquer un peu.

Avec le recul, si je n’ai jamais cherché à analyser Nier avec mes petits yeux pernicieux de game designer c’est pour une raison toute simple: je savais que ce que j’allais y voir avec ce regard n’allait pas me plaire. Nier, c’est un génie avant tout narratif. Les idées fusaient certes comme un soir de 1er août mais leur exécution laissait clairement à désirer. L’annonce d’un Nier Automata en partenariat avec Platinum Games était donc porteuse des plus fous espoirs. La folie narrative de Yoko Taro associée au talent ludique de Platinum, c’était San Goku et Seyia enfin réunis.

Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’ils allaient finir par se mettre sur la gueule à la place d’associer leurs talents. Pour qu’un gameplay puisse soutenir une narration, il est important que des concessions soient faites dans les deux sens. Seulement voilà, comme à son habitude Yoko Taro, le créateur de Nier Automata, n’a visiblement qu’une seule envie: raconter une histoire. Dans ses jeux, le gameplay n’est là que pour justifier le propos narratif. Une disposition à l’exact opposé des productions Platinum où l’histoire n’est qu’un faire-valoir du gameplay. Une situation qui aurait pu être riche d’enseignements pour l’un comme pour l’autre si Monsieur Yoko n’avait pas décidé de n’écouter que lui-même.

Pourtant dans un premier temps on retrouve tout le savoir-faire de Platinum. La première séquence de jeu, très linéaire, dévoile même un gameplay fort enthousiasmant, loin des errances du premier Nier. Les principes fondamentaux y sont introduits selon les règles de l’art, la tension entre difficulté et plaisir est bien dosée et les ennemis ont des comportements bien distincts. Malheureusement, après cette introduction le jeu s’ouvre pour retrouver une structure semi-ouverte dans l’esprit du premier Nier et les choses se gâtent. D’une part on sent Platinum projeté hors de sa zone de confort et surtout un Yoko Taro inflexible quant à la forme de son jeu.

Premièrement, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de conserver un système d’expérience lorsque l’on s’adjoint les compétences du studio derrière Bayonetta. D’une utilité plus que discutable narrativement, il met surtout parterre toute l’expertise de gestion des combats du studio. Qui dit points d’expérience dit impossibilité de doser la difficulté des combats. Si le joueur est chanceux, il se retrouvera au niveau prévu à l’endroit prévu, mais le plus souvent il sera trop puissant à peu près partout et se contentera d’alterner les deux boutons d’attaque pour se débarrasser des ennemis sans trop réfléchir. Un manque de discernement que l’on retrouve dans l’inconsistance générale des systèmes de jeu.

Tel un designer des années 90, Taro Yoko passe son temps à atomiser la logique ludique pour les besoins de son scénario. Les points de téléportation s’activent et se désactivent au gré de ses envies scénaristiques. Le piratage des ennemis est possible pour autant qu’il ne gêne pas Monsieur Taro dans le déroulement de son histoire. Les ennemis aériens se contentent de planer quand le joueur en prend le contrôle parce qu’il serait bien trop fastidieux d’assumer ses mécaniques de jeu jusqu’au bout. Le hacking se fait parfois en temps limité, parfois non, cela dépend de si le grand maître veut être sûr de votre réussite ou non. En bref, à chaque fois qu’un des nombreux systèmes ludiques présents dans Nier Automata commence à générer quelque chose de neuf au contact des autres, Taro le fait taire immédiatement. Une attitude face au gameplay un peu triste lorsque l’on voit à quel point il est prêt à toutes les folies en matière de narration.

En parallèle, Platinum jongle du mieux qu’il peut avec la collection de gameplay imposée par la licence Nier. Si les phases de manic shooter ne sont pas des plus réussies, le jeu de hacking constitue une proposition plutôt solide qu’on aimerait voir développée en profondeur dans un autre jeu. Je suis plus partagé quant au gameplay central du jeu. Takahisa Taura, le game de designer de Platinum, ne s’est pas beaucoup fatigué pour adapter la recette traditionnelle du studio aux envies narratives de son « Game Director ». On retrouve telquel leur système de combats aux esquives ravageuses accompagné de ses différentes armes aux combos interconnectables. La seule concession faite est à trouver du côté de l’accessibilité. Au revoir la précision et bonjour les fenêtres de combos immanquables où tout se combine avec tout un peu dans n’importe quel sens. Evidemment, avec un système d’XP dans les pattes je comprends cette démarche mais peut-être qu’il serait temps pour les rois du beat them up d’interroger quelque peu leur recette au lieu de l’insérer partout au forceps.

Normalement, je devrais conclure cette critique par deux ou trois phrases assassines vous recommandant de passer votre chemin, seulement dans Nier Automata il n’y a pas que le gameplay. En fait il y a même surtout un univers et une histoire. S’ils restent forcément moins marquants que dans le premier opus, Yoko Taro nous offre ici un final qui fera date dans l’histoire du jeu vidéo. Certes le créateur fou n’y comprend pas grand chose au game design mais il faut lui laisser une compréhension de l’interactivité du medium au-delà de la plupart de ses collègues. Avec Nier Automata, il nous offre un sommet de génie qui m’a contre toute attente fait déposer mes armes de méchant petit game designer haineux pour me baigner dans la joie simple d’avoir vécu un récit dont je me souviendrais longtemps.