The Magic Circle

Il y a déjà deux ans, bon nombre d’entre nous se sont fendus la poire sur le remake du mod Stanley Parable. Cet espèce d’ovni vidéo-ludique, véritable pamphlet humoristique visant à dénoncer la misère de la condition de joueur, piégé dans son média qui ne lui laisse que le travestissement de l’illusion du choix, a prouvé qu’une partie du public était prête à l’auto-dérision. C’est parfait. Parce qu’au temps vous avertir de suite, The Magic Circle va beaucoup plus loin.

Dans Stanley Parable, le personnage que le joueur incarne devient le joueur en personne. Par le biais de la voix du narrateur qui ne cesse de lui adresser directement ses répliques, le joueur se retrouve comme aspiré dans le jeu. Il s’agit là d’une technique de métafiction dite immersive, une, parmi bien d’autres.

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Oui, on a bien ri, mais surtout beaucoup marché.

The Magic Circle, lui, use et abuse de toutes les techniques possibles pour se transformer en une métafiction monstrueuse qui n’aura de cesse de surprendre le joueur. Pourtant, le pitch annonçait franchement la couleur. Pris au piège dans l’ébauche d’un jeu au développement plus que longuet, il vous faudra redonner vie à des pans de cet univers en chantier qui ont été abandonnés en cours de route. Le problème, c’est que les développeurs de ce faux-jeu vaporware ne sont pas de cet avis et ne voient pas d’un bon oeil qu’un inconnu se mêle de leur travail. Difficile de leur en vouloir me direz-vous. En temps normal, j’aurai acquiescé. Mais lorsqu’on surprend le scénariste et la game designer se prendre le chou, la bêtise qui dégouline de leurs conversations vient nourrir notre motivation à saboter leur oeuvre. C’est d’ailleurs une des forces du jeu qui mérite d’être soulignée: les dialogues ne manqueront pas de vous arracher quelques sourires.

De l'ironie, comme on l'aime.

De l’ironie, comme on l’aime.

Mais le délire ne fait que commencer. En effet, le concept va jusqu’à alimenter le coeur du gameplay. Le joueur endosse la fonction d’une espèce de glitch, doté de capacités du style pirate de la matrice. Il vous est impossible d’agir directement sur le monde, par contre, vous pouvez modifier certaines de ses composantes, majoritairement ses créatures. Vous vous retrouvez ainsi à bidouiller leur intelligence artificielle pour que celles-ci vous obéissent au doigt et à l’oeil, tout en ajustant leurs comportements à votre convenance.
Pour ma part, je me suis rapidement lié d’amitié avec Syphilis, mon champignon géant flottant qui tirait des rayons de la mort sur un peu tout ce qui bouge. J’ai également été pris d’affection pour la clé d’une prison à laquelle j’ai décidé de donner la Vie, mais aussi la capacité d’éternuer très fort pour projeter tout ce qui se trouve sur son chemin dans le vide, y compris moi.

Oui c'est moche, mais on s'en fout.

Oui c’est moche, mais on s’en fout.

The Magic Circle devient progressivement un bordel loufoque, et c’est génial. Il existe plusieurs manières de résoudre les puzzles, et même de finir le jeu. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises solutions, la liberté est laissée au joueur de faire ce qu’il lui plaît pour parvenir à ses fins. C’en devient presque déstabilisant. En effet, ce système de jeu relativement atypique a le bon goût de faire perdre pied aux joueurs chevronnés que nous sommes, mais l’univers ne nous donne que peu d’indications sur la meilleure manière de s’affranchir des obstacles. C’est parce qu’il n’y en a pas, et ce pour une excellente raison.
La trame scénaristique met sur le devant de la scène les déboires des développeurs incapables d’avancer dans leur travail, trop torturés à vouloir perfectionner leur bébé, trop obsédés à vouloir concevoir une expérience hors du commun. Quoi de plus logique alors, que l’anomalie que le joueur incarne se dote d’un gameplay maladroit, presque chaotique, exactement à contrario des aspirations des Dieux de ce monde qu’il chercher à faire tomber? Oui, c’est très intelligent, et en plus, c’est fun.

Troll, jusque dans le logo.

Troll, jusque dans le logo.

Mais il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur la satyre qui se dessine tout au long du jeu. Mais l’essentiel est ailleurs: The Magic Circle s’avère être superbement réussi. Il se respecte à merveille, et ne se permet aucune concession. Il va sans dire qu’il ne fera pas l’unanimité, mais que tous les passionnés éclairés du jeu vidéo sauront y trouver un brillant objet de vidéo-ludisme décalé, complètement assumé. Croyez-moi, cette incatégorisable pépite vous réserve une quantité tout bonnement indécente d’estomaquantes surprises. Stanley peut retourner errer dans ses couloirs vides, moi je vais plutôt essayer de monter une armée de loups moches kamikazes et incendiaires, tout en me vantant de jouer à un jeu meta, d’une façon gratuitement pédante. Je crois que j’ai mon jeu de l’année.

Disponible sur Steam, maintenant. (-15% jusqu’au 16 juillet)