Transistor

Avez-vous déjà piraté un programme informatique? Non? Moi non plus. Mes compétences en matière de piratage s’arrêtent au niveau de Kevin douze ans et son torrent « Watch Dogs Digital Deluxe MULTi3 RePack-SELTER ». Avec Transistor, je crois pourtant avoir touché du bout des doigt l’image que je m’en fais: une sensation grisante provoquée par la conquête progressive d’un programme, de l’incompréhension initiale à sa maitrise totale. Le successeur de Bastion a fait de moi un embryon de Barbe Rousse électronique.

Pour pirater un système, il faut commencer par en comprendre le fonctionnement. Transistor ne fait pas exception à la règle et contrairement à ses congénères, il n’est pas là pour vous faciliter la tâche. Si l’on comprend vite que le combat se résout en temps réel, au tour par tour ou les deux à la fois selon notre bon vouloir, la gestion des pouvoirs baigne de prime abord dans une nébuleuse bien cryptique. J’ai passé la majorité de mes deux premières heures de jeu tel un informaticien face à un groupe de jolie fille: « ça a l’air sympa, mais comment je fais pour participer? ». Puis progressivement, à force de naviguer dans la peu pratique interface de pouvoirs, j’ai commencé à saisir les bribes d’une logique sous-jacente. Dans Transistor, chacun des pouvoirs nommés ici fonctions, se combine avec les autres de trois façons: active, passive et méliorative. Petit exemple avec Crash, la fonction de base: en actif, c’est un bon vieux coup d’épée dans les dents, en passif elle augmente la résistance aux dégâts et malus, et finalement en amélioration elle va donner à une autre fonction la capacité « étourdissement » ou « ralentissement ». Si l’on débute avec une petite poignée de fonctions, on se retrouve vite à jongler avec plus d’une dizaine, toutes conciliables les unes avec les autres des trois manières différentes. Sachant également que chacune peu accueillir jusqu’à deux de ses congénères, quelqu’un de bon en math vous énoncerait un chiffre  impressionnant de combinaisons possibles. Inévitablement, ce type de mécaniques extrêmement touffues n’est pas sans conséquences tant positives que négatives.

transistor_fonctions

Du point de vue positif, la recherche et la découverte de nouvelles dynamiques efficaces dans ce moelstrom de possibilités est absolument jubilatoire. D’autant que les comportements et propriétés des ennemis varient énormément tout au long du jeu, obligeant ainsi le joueur à s’adapter en permanence. Grâce à ce large éventail de possibilité, l’équilibre entre tour par tour et temps réel est également maintenu avec talent via des combinaisons favorisant l’utilisation de l’un ou de l’autre. Exploit remarquable lorsque l’on sait que des générations de Baldur’s Gate, Dragon Age ou Tales of m’ont fait hurler à la mort tant leur mix indigeste perdait à la fois la lisibilité du tour par tour et l’énergie du temps réel.

Du point de vue négatif, lorsque l’on crée ce genre de réseau complexe, la bête finit par échapper au contrôle de ses propres créateurs. Le pirate aguerri finira donc invariablement par tomber sur quelques combinaisons craquées du slip faisant outrageusement glitcher certaines communauté d’ennemis. Si ce genre d’événements a le bon goût de rester dans la thématique générale du titre, il peut parfois avoir l’arrière goût moins agréable du triomphe facile. Le deuxième élément que l’on pourrait regretter concerne le joueur lui-même. Présentez Transistor à un joueur scénaristico-centré ne souhaitant pas s’attarder sur le gameplay et vous assisterez à l’écroulement lamentable de son plaisir de jeu. Principalement parce que sa mécanique est pensée pour expérimenter et non pour rabâcher la même combinaison jusqu’à plus soif, mais aussi parce que l’histoire est inaccessible à qui n’a pas joué du prolifique gameplay.

C’est justement la que se trouve le coup de génie de Transistor: sa mécanique principale héberge tant la clé du système de jeu que celle de l’histoire, car chaque fonction est l’essence d’un personnage, son utilisation active, passive et méliorative débloquant un fragment de son existence. Il sera donc nécessaire de trouver les seize fonctions et d’utiliser leur plein potentiel pour avoir un accès complet à la trame narrative. Car encore une fois, comme pour son gameplay, Transistor ne donne pas les clés de son histoire au premier venu. Le joueur devra comme un bon pirate fouiller chaque recoin et recouper les informations de lui-même pour faire toute la lumière sur l’étrange univers dans lequel il évolue.

Finalement, le jeu de Supergiant Games forme un tout d’une impressionnante cohérence autour de sa thématique informatique, de sa direction artistique froide à son gameplay, en passant par ce qu’il attend de son joueur. Si la majeure partie des jeux d’aujourd’hui s’ouvrent à leur public aussi facilement que le fichier torrent de Kevin, Transistor ne s’ouvrira lui qu’aux Barbes Rousses vidéoludiques. Quitte à abandonner certains d’entre vous l’oeil hagard sur le perron de son gameplay.