Histoires d’en parler: Life is Strange #2

Histoires d’en parler c’est deux expériences vidéo-ludiques différées qui se racontent l’une à l’autre. On choisit un jeu, on y joue chacun de son côté et ensuite on partage, dans l’Amour et le Respect mutuels tous relatifs hérités de nos fondement judéo-chrétiens.


Épisodes précédents:
Histoires d’en parler: Life is Strange #1

 

 

SANDRO:

Concernant l’exemple que tu donnes sur Gone Home, je te rejoins sur le fait que le gameplay de la vraie vie est actuellement nettement plus convaincant par contre je n’en tire pas la même conclusion. Je ne pense pas que ce soit une question de niveau de détail, pour moi il est plus question d’un niveau de confiance. Comme j’en parlais dans mon article sur Return to Obra Din, je pense que la majorité de ces récits interactifs sont destiné à des spectateurs et non a des joueurs. Le spectateur a une attitude passive, il est donc crucial de lui mettre les choses sous le nez de façon évidente et dans un certain ordre pour faire progresser l’intrigue. Au contraire le joueur est actif, comme le montre ton attitude lors de tes visites d’appartement. Si on lui adresse ce type de jeu, il suffit de lui faire confiance: il se débrouillera de lui même pour fouiller et faire les liens. Peut-être même qu’il ne comprendra jamais ou l’auteur voulait en venir tout en ayant attrapé suffisamment de fragments d’histoire pour y trouver son compte. Ce que les auteurs de ces récits excessivement guidés oublient c’est qu’avec un esprit de joueur tout est potentiellement histoire. Leur attitude est un toc lié à l’habitude de la narration linéaire qui va à mon avis mettre encore quelques années à s’estomper. Je pense que la clé sera de voir de plus en plus de game designer se pencher sur la narration interactive plutôt que des cinéastes frustrés. Bref je m’égare, revenons à Life is Strange.

Avant de rentrer dans le vif du sujet avec la capacité de remonter dans le temps qui me parait être l’élément central du jeu, j’aimerais aborder l’univers visuel et les personnages. Pour la première fois je me sens concerné par ces gens. De Walking Dead à Game of Throne en passant par toute la ménagerie de David Cage, tous ces héros m’ennuyaient profondément. Je suis bien conscient que je jette les dernier lambeaux de ma virilité en admettant être plus touché par les amitiés collégienne d’une adolescente que les considérations existentielles de survivants à une invasion zombie mais c’est ma fois la dure réalité que m’a révélée Life is Strange. Il y a quelque chose de terriblement juste qui se joue à la croisée de sa touche graphique colorée, de sa musique adolescente et surtout de ses dialogues sans fioritures.

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LE cliché, mais…

Et pourtant à priori j’avais plutôt envie d’étriper DONTNOD (studio français) d’avoir choisi un collège américain pour cadre de l’histoire. Traumatisé par les parodies d’Hollywood Night que Cage accouche depuis 10 ans, cela m’a quasiment fait passer à côté du jeu. Heureusement je m’étais trompé, l’univers sonne juste et au final l’endroit ou les événements se déroulent importent peu. Pour clôturer sur l’ambiance je citerais Maria Kalash de Canard PC qui évoque à merveille dans sa critique la douceur de cet univers: « j’attends la suite comme une chenille dans un cocon ».

 

 

WUTHRER:

J’ai terminé le troisième épisode, il y a de cela quelques jours. Mon ressenti jusqu’à présent demeure simple et limpide: j’aime Life is Strange. Les raisons sont multiples et rejoignent en partie certains de tes dires. L’univers sonne juste, les personnages sont attachants, je ne puis qu’adhérer. Mais au-de-là de cette réussite, qui demeure cependant en certains endroits perfectible, c’est l’intention charnière responsable des fondements du titre qui m’inspire l’admiration. Pour m’expliquer, voici une question à laquelle je vais immédiatement me répondre: Qu’est-ce que Life is Strange? C’est une lettre d’amour à l’adolescence.

J’aime me fondre dans son univers, j’aime rencontrer ses personnages, j’aime écouter sa soundtrack mélancolique, j’aime l’analyser et le décortiquer et plus que tout, j’aime me réjouir de l’arrivée d’un nouvel épisode. Mais le JEU dans tout ça? On s’en fout, ou presque. Comme tu le dis toi-même, la plupart du temps dans les productions du genre “fiction interactive”, les phases de jeu s’avèrent au final plus nuisibles pour la narration et son rythme que véritablement utiles. Dans Life is Strange, ce constat ne s’applique presque pas. Même s’il est des moments dont on pourrait se passer car perceptibles comme inévitables : “Olala, il y a eu beaucoup de blabla, vite une petite séquence de cache-cache dans les vestiaires de la piscine pour éviter que le joueur ne s’ennuie”. D’autres séquences de récolte d’information un peu forcées ont également mis à mal ma suspension consentie d’incrédulité, mais rien de grave. Le game design est une discipline ingrate, car pour être réussi il doit passer inaperçu afin de servir l’intention dont il émane. C’est pareil au cinéma, si tu commences à trop dénoter consciemment des partis pris de réalisation, c’est que c’est foiré (sauf si c’est intentionnel, mais là c’est une autre histoire).

Les phases de jeu que je préfère sont celles qui ne sont pas visiblement dictées par la complétion d’un objectif flagrant. J’aime me promener, regarder autour de moi et récolter toutes les informations qui peuvent me tomber sous le nez. Ces moments sont éparpillés savamment tout le long des sessions de jeu et se révèlent être de véritables bouffées d’air frais, qui rendent l’existence de Max, et surtout de l’univers auquel elle appartient, tangibles.

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Regarder, farfouiller, découvrir, comme bon nous semble.

Et si c’était ça le secret d’une bonne production de ce genre? Des environnements plus ouverts, propices à une observation libre où chacun pourrait trouver de quoi nourrir sa narration comme bon lui semble. Comme quoi finalement, nous partageons le même point de vue. Une chose est sûre néanmoins, en certains de ces moments, Life is Strange laisse au joueur le bonheur léger de profiter de cette opportunité. Mais la véritable force du titre ne réside toujours pas en cette presque particularité plutôt bien dosée.

Comme je le disais, c’est une lettre d’amour à l’adolescence, qui a pour format un support vidéo-ludique. Le jeu vidéo devient un outil maîtrisé au service d’un propos. Et c’est là où la démarche m’apparaît comme géniale, tant elle est pertinente. En effet, quel autre média que le jeu vidéo pourrait se targuer d’offrir une grammaire plus adaptée à parler des choix et de leurs conséquences? Le cœur de Life is Strange, ses moments marquants, ceux qui scotchent et réclament de manière intelligente l’interaction du joueur se cristallisent autour de ces quelques instants où le temps se fige pour demander au joueur de faire un choix. Multiples, mais jamais trop nombreux, ils surgissent lorsqu’on s’y attend le moins et nous mettent face à des dilemmes cornéliens. Pertinents, ils évitent l’écueil répugnant et gerbant d’un manichéisme idiot encore bien trop souvent présents dans le jeu vidéo, en général. Non, ici la cohérence des personnages selon leurs personnalités, leurs enjeux et leurs visions du monde est palpable et donnent au joueur tout un ensemble de variables à prendre en compte lorsqu’il doit faire son choix. Il est impossible de gagner, de plaire à tout le monde, il n’y a ni Bien, ni Mal. Enfin, enfin dans un jeu vidéo tendant vers un certain réalisme, j’ai cette agréable sensation de pouvoir flirter avec autre chose qu’une vision étriquée d’un univers bichromatique fait de méchants et de gentils. J’exagère, dans le sens où Life is Strange n’est pas le premier jeu vidéo à user d’une telle perspective, mais dans son cas, cela reste excessivement bien fait et sert à merveille sa thématique principale: la transition à l’âge adulte, où l’on se voit confronté à la toute complexité du monde extérieur.

Mais surtout, ça marche! Tu le dis toi-même, le décorum du lycée américain ne présageait rien de bon. Et pourtant… bon nombre de passages sont parvenus à réveiller la nostalgie de cette période marquée par la fébrilité des possibles qui naissent, qui meurent, des désillusions et des expériences qui forgent à jamais le reste de l’existence.

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Une amitié, fragile et compliquée.

Dans Life is Strange, ce ressenti ne fait que monter crescendo. Tu m’as avoué avoir eu peur pour le peu de virilité à laquelle tu pouvais encore prétendre, et bien sache que la mienne a également été mise à mal à la fin du troisième épisode. J’en avais les larmes aux yeux.

Pourtant, c’était tellement prévisible, mais je fus eu. C’est fou car, DONTNOD s’est permis de nous narguer avec le nom de l’épisode lui-même. Mais, confiants, ils savaient ce qu’ils faisaient et ce pour une raison qui justifie d’ailleurs mes propos. Les films qui tournent autour de cette même problématique ne sont jamais parvenus à susciter chez moi la même admiration ou les mêmes réflexions que Life is Strange. Je pense par exemple à l’Effet papillon ou même Donnie Darko.

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Donnie Darko, The Butterfly Effect et Life is Strange partagent bien des similarités, mais c’est le jeu vidéo qui se révèle être le plus pertinent.

C’est bien là une preuve de la synergie géniale qui s’opère dans Life is Strange, entre son propos et le format vidéo-ludique. Ainsi, Life is Strange peut se targuer de faire partie de ces trop rares œuvres vidéo-ludiques qu’on ne pourra jamais porter sur un autre support sans en ruiner ce qui fait sa véritable substance. C’est aussi pourquoi j’aime Life is Strange, car il est à ranger à côté des jeux vidéos qui prouvent qu’il s’agit bel et bien d’un Art, à part entière, car inimitable dans son essence.

Je ne parviens pas à expliquer mon engouement autrement.

 

 

Voilà pour le deuxième épisode de notre échange, la suite viendra quelque temps après la sortie du 4ème épisode de Life is Strange.

 

Épisode suivant:
Histoires d’en parler: Life is Strange #3